Avani
Au 7 ème étage, je sonne à la porte de ce luxueux appartement. C’est un visage presque familier qui ouvre la porte à mes souvenirs indiens. Il vient du Sri Lanka. Avani sera mon premier visage à Beyrouth. Il me manque une chose pour me replonger dans son pays : l’odeur de coco dans les cheveux. Madame n’aime pas l’odeur de coco, me dira t’elle plus tard.
Avani me montre ma chambre, Welcome to Lebanon, Achrafieh. Je suis seule avec elle dans cet immense appartement recouvert de tapis, d’objets d’arts orientaux, de livres et tableaux contemporains. Une baie vitrée donne sur les maisons des voisins. A travers les vitres, dans chaque cuisine une femme en bleu, rose ou blanc, s’y active.
Je décide de sortir acheter une carte SIM. Avani me propose de m’accompagner. Un malaise certain me prend, celui d’être prise pour la maîtresse de maison. Elle m’emmène dans un mall où des jeunes couverts de Nikeadidaschanelluisvuiitonpradagucci se délectent sur fond sonore de Happy. On tente de me vendre une carte SIM à 80 dollars. Nous repartons bredouilles. Le regard insistant d’une femme passe de mon visage à celui d’Avani et inversement. Est-ce que parce qu’Avani n’a rien à faire là ? Devrait-elle marcher derrière, ou devant moi ? Certainement pas à mes côtés en tout cas. La honte me vient, je suis heureuse de rentrer la cacher à la maison.
Madame est sortie. Nous passons la soirée dans la cuisine, bercées par le son de la TV sri lankaise. Avani boîte un peu, elle a mal. A l’articulation de la hanche. Elle doit perdre du poids, dit Madame. Le son tamoul vient d’une petite pièce derrière la cuisine, dans laquelle disparaît Avani. J’ose m’approcher et apercevoir ce qui est un cagibi assez long pour un lit. Et assez large qu’elle puisse en descendre. Je lui montre des exercices de yoga pour sa hanche. Mais elle se tient assis sur une jambe croisée, toujours la même, sur le seul siège possible dans cette pièce : son lit. Je lui propose de changer de jambe et s’assoir de l’autre côté. Mais la TV ne peut être que de ce coté, me répond Avani. Sa vie, son Sri Lanka, ne peut se voir que de ce côté. Et Avani vit toujours dans ce Sri Lanka devenu une immense série télévisée. Son pays aseptisé, sans odeur de coco. Bienvenue à Beyrouth, femmes du Sri Lanka, Ethiopie, Bangladesh, Érythrée, Philippines.
Au petit matin, dans les rues d’Achrafieh, les seules piétonnes, ce sont elles. Les autres roulent en 4 x 4 ou attendent dans leur lit que leur petit déjeuner soit servi. Bientôt, Madame sera partie en weekend. Est-ce qu’Avani ira se reposer dans les lits où l’ont peut descendre des deux côtés ? Ou restera t’elle sagement dans son espace attribué ? Avani est à la maison, c’est elle qui m’a ouvert la porte. La maîtresse de maison.